Transposition de la directive ECN+ en droit français
Le 26 mai 2021, l’Ordonnance relative à la transposition de la directive ECN+ du 11 décembre 2018 qui renforce les pouvoirs des autorités nationales de concurrence (ANC) a été adoptée et publiée au Journal officiel (à noter que les articles 17 à 22 de la directive ECN+ relatifs à la procédure de clémence avaient déjà fait l’objet d’une transposition séparée dans le Décret du 10 mai 2021).
Toutes les dispositions de la Directive ECN+ ne nécessitaient pas une transposition car certaines étaient déjà mises en œuvre en France. Par exemple, l’Autorité pouvait déjà adopter des sanctions pécuniaires allant jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial des entreprises (article 15 de la directive ECN+).
Les changements principaux à venir sont résumés ci-dessous.
Révision des pouvoirs d’enquête
L’Ordonnance donne à l’Autorité :
(i) L’opportunité des poursuites : l’Autorité pourra donc rejeter les plaintes qu’elle ne considère pas comme une priorité ;
(ii) La faculté d’imposer des mesures correctives de nature structurelle ou comportementale proportionnées à l'infraction commise et nécessaires pour faire cesser effectivement l’infraction (d'une durée déterminée ou indéterminée). L'Autorité a indiqué qu'elle ne ferait vraisemblablement qu'un usage relativement exceptionnel des injonctions structurelles, mais qu’elles pourraient trouver à s'appliquer, en particulier, dans le domaine du numérique ;
(iii) Des pouvoir renforcés en matière d’accès aux données virtuelles des entreprises lors des inspections (y compris les données cryptées et/ou enregistrées à l’étranger) : en pratique cela signifie que les données enregistrées sur un Cloud ou un serveur sont accessibles par l’Autorité ; et
(iv) La faculté d’accepter tout type de preuves dans le cadre de l’enquête : la formulation très large semble indiquer que les enregistrements dissimulés sont inclus pour autant qu'il ne s'agisse pas de l'unique source de preuve.
Révision des pouvoirs de sanction
A propos des sanctions, nous souhaitons mettre en avant les changements suivants :
(i) Suppression du critère du dommage à l’économie pour le calcul de l’amende : cette suppression simplifie la méthode utilisée par l’Autorité mais est aussi, dans une certaine mesure, avantageuse pour les entreprises dans la mesure où l’absence de débats sur le dommage à l’économie rendra la tâche plus compliquée aux éventuels demandeurs de dommages et intérêts.
(ii) Fin du plafonnement à 3 millions d’euros des amendes imposées aux associations d’entreprises : l’amende encourue par les associations d’entreprises est à présent soit de 10% de leur chiffre d’affaire mondial soit, lorsque l’infraction commise par l’association d’entreprises a trait aux activités de ses membres – comme c’est très souvent le cas –, de la somme de 10 % du chiffre d’affaires total des membres actifs sur le marché concerné par l’infraction. A noter cependant que la responsabilité financière de chaque entreprise en ce qui concerne le paiement de l'amende ne peut excéder 10% de son propre chiffre d’affaires mondial.
Concernant les modalités de recouvrement de l’amende, l’Ordonnance met aussi en place, en pratique, une quasi-solidarité des membres de l’association :
a. Lorsqu’une amende imposée à un organisme professionnel tient compte du chiffre d’affaires des membres et que l’organisme professionnel n’est pas solvable, l’Autorité pourra enjoindre à cet organisme de lancer un appel à contributions pour couvrir le montant de la sanction pécuniaire ;
b. En cas de défaut de paiement intégral à l’issue de l’appel à contributions, l’Autorité pourra exiger directement le paiement de l’amende par toute entreprise dont les représentants étaient membres des organes décisionnels de l’organisme professionnel ; et
c. De manière subsidiaire, lorsque cela est nécessaire pour assurer le paiement intégral de l'amende, l’Autorité pourra exiger le paiement du montant restant de l'amende par tout membre de l’organisme qui était actif sur le marché concerné par l’infraction, avec une dérogation pour les entreprises qui démontrent qu'elles n’ont pas appliqué la décision incriminée de l’organisme et qui en ignoraient l'existence ou qui s'en sont activement désolidarisées avant l'ouverture de l'enquête.
Précisions que ces dispositions ne sont pas applicables aux pratiques anticoncurrentielles ayant pris fin avant l'entrée en vigueur de l’ordonnance (i.e. 28 mai 2021).
(iii) Immunité pénale pour les personnes physiques (directeurs, employés) qui avaient participé activement à l’infraction en cas de demande d’immunité / de clémence de l’entreprise : en pratique cette immunité est conditionnée à une collaboration active avec l'Autorité et le ministère public (par exemple, répondre à toute question pouvant contribuer à établir les faits, pas de destruction ou de falsification de preuves).
(iv) Initiative en matière de mesures conservatoires pour l’Autorité.
Autres dispositions
(i) Coopération entre les ANC – L’ordonnance renforce la coopération aux stades de l’enquête (par exemple, possibilité pour les agents de l'ANC requérante d'assister une autre ANC durant une inspection, notification d’actes de procédure) et après l’adoption de la décision (par exemple, assistance pour l’exécution des décisions).
(ii) Recours contre le refus de l’autorité judiciaire d’accorder une autorisation d’inspection – l’Ordonnance prévoit que l’Autorité ou le ministre chargé de l'économie peuvent interjeter appel contre une ordonnance de refus d’autorisation. L’Ordonnance précise aussi que le ministre chargé de l'économie ou l'Autorité sont parties à la procédure en cas d'appel formé à l'encontre d'une ordonnance d'autorisation et peuvent donc former un pourvoi en cassation à l'encontre de l'ordonnance rendue par le premier président de la Cour d’appel.
(iii) L’accès au dossier lors d’une procédure de l’Autorité – Les déclarations de clémence ne sont accessibles qu’aux parties et la proposition de transaction n’est accessible qu’à la partie concernée par cette proposition. Ces informations ne peuvent être utilisées que dans le cadre (a) d’une affaire en lien avec celle concernée et relative à la répartition de l’amende entre les participants à une entente ou (b) d’un recours formé contre une décision de l’Autorité concernant des pratiques anticoncurrentielles.
(iv) L’exonération d’amende dans le cadre de la procédure de clémence – Le nouveau dispositif relatif à la clémence prévu dans le Décret du 10 mai 2021 précise les conditions dans lesquelles une exonération totale de l’amende peut être obtenue : soit les informations apportées par le demandeur de clémence permettent de procéder à des opérations de visites et saisies ou à des perquisitions, soit elles permettent à l'Autorité d’établir l'existence de la pratique en cause. Le Décret prévoit également la possibilité de déposer la demande de clémence par l’intermédiaire d’une plateforme d'échanges sécurisés de documents électroniques, plateforme dont les modalités devraient être prochainement précisées par un autre décret.
L'Autorité a commenté que cette transposition, lue en parallèle de l’approche renouvelée de la Commission concernant l’article 22, parachève la modernisation des outils de l’Autorité face aux enjeux contemporains, notamment ceux soulevés dans le secteur digital.